Vélomagus, récit d'un vélotafeur accidenté.

À l’hôpital

Je me réveille de nouveau. Cette fois-ci (gros cliché et pourtant c'est vrai), en face de moi brille une grosse lampe chirurgicale. Je me rappelle que j'ai été accidenté donc je devine assez bien que je suis à l'hôpital. Une silhouette que j'identifie être un homme (de par sa barbe), bonnet de chirurgie et masque est déjà affairé à me recoudre les blessures sur le front. Cependant, je ne sens rien du tout. Hormis une faim de tous les diables. Constatant que je me réveille, il me demande:

"Comment ça va Monsieur?"

Moi : "J'ai terriblement faim".

Il rigole "Ah c'est bon signe ça, par contre je ne peux rien faire pour vous tant qu'on ne sait pas tout sur votre état de santé".

Je vais passer mon temps à alterner des périodes de conscience et de sommeil ce qui fait que le temps ne m'a pas semblé si long que ça. J'entends le tumulte bien connu des urgences, surtout que je suis dans la partie réservée aux cas graves. Je pense être près de leur salle de pause/briefing car j'entends leurs discussions. D'ailleurs, bientôt, un grand blessé va arriver par hélicoptère car il a chuté du toit d'un immeuble de quatre étages. Excusez-moi mais même dans mon état je vous avoue que ça m'a permis de relativiser. Parfois même j'entends sortir de cette salle une musique d'un groupe que j'affectionne particulièrement. Ils ont mis tout l'album. C'est grandiose.

Moi : "Par contre le collier me fait mal derrière la tête".

Le médecin, toujours affairé sur mon front : "Ah désolé Monsieur, même si vous semblez mobile et que vous sentez vos membres il va falloir attendre le scanner pour être sûr que vous n'avez rien de grave".

Il continue son travail, cela prends pas mal de temps donc je prends conscience que je dois être bien amoché sur le front. Il termine. Puis commence à s'intéresser à l'arête gauche de mon nez. Il semble perplexe.

Le médecin : "Monsieur je vais m'arrêter là et demander l'avis du service ORL. Vous avez l'arête du nez sectionnée et je crains que ça ne dépasse mes compétences."

Sauf que les ORL ne sont pas disponibles tout de suite, il va falloir attendre. Pas grave, je ne vais pas bouger, ne vous inquiétez pas. C'est alors que le médecin me délivre sans le vouloir un coup de poignard auquel je ne m'attendais pas.

Le médecin à ses collègues : " On va peut-être pouvoir faire entrer la famille du monsieur ? Cela fait très longtemps qu'ils attendent. A moins que vous ne soyez contre monsieur".

Oh mon dieu, c'est vrai ! C'est bête à dire mais j'avais carrément oublié que je n'étais pas tout seul dans ce monde. Et que mes proches devaient être morts d'inquiétude.

Avant d'entrer, heureusement, ils savaient déjà grâce au personnel soignant que j'étais conscient, amoché mais que les pronostics étaient bien meilleurs qu'à mon arrivée.

Mon père grimace pour retenir sa sensation d'horreur. Ma compagne fond en larmes. Je lui sourit, parce que je suis tellement content de la voir et parce que je veux aussi la rassurer. Elle place entre deux sanglots "Je ne veux plus que tu prennes le vélo pour aller au travail". Je retiens mes larmes, c'est dur, et arrive à placer un léger "On verra". Après un petit temps de flottement, tout le monde se calme. Ma compagne et mon père me font l'état des lieux que je ne peux pas effectuer. Front ouvert, nez cassé, arête du nez en lambeaux, incisive cassée, genou gauche énorme. Je prends également des nouvelles des enfants. Avec toutes ces émotions j'ai encore plus faim !

Puis les ORL arrivent. Mes proches vont devoir de nouveau attendre dans cette petite salle d'attente dans laquelle ils ont tellement eu peur. Leur cœur est un peu moins lourd, mon père va enfin pouvoir appeler ma mère pour la rassurer.

Les ORL me manipulent le nez avec le plus grand soin. Effectivement, c'est un travail de spécialiste dont je vais avoir besoin.

L'ORL :  "On va vous suturer le nez monsieur, c'est un endroit délicat, on va faire tout notre possible".

Moi : "Oh vous savez avec ce que je viens de vivre, je ne suis plus à ça près".

L'ORL : "Vous avez eu beaucoup de chance monsieur dans votre malheur".

(Cette phrase sera le début d'une longue série. Je ne m'en plains vraiment pas car je préfère entendre ça qu'une nouvelle grave)

Mon nez est recousu, vient le moment de passer le scanner. Normalement lors du scanner il ne faut pas bouger. Autant vous dire que j'ai appliqué les consignes à la lettre car j'ai presque dormi pendant tout l'examen sauf au moment de retenir sa respiration.

Puis retour dans le box. Le médecin revient et m'annonce qu'hormis le nez, je n'ai aucune atteinte osseuse en particulier au niveau de la colonne vertébrale et du crâne. Par conséquent, on m'enlève enfin ce fichu collier cervical. Par contre, en passant le scanner, ils ont vu qu'il restait un caillou logé dans mon front. C'est donc avec une notable déception, que le médecin va devoir découdre tout son travail, chercher et trouver le cailloux et recommencer la couture après. J'entends encore le bruit métallique du caillou qui tombe dans le récipient inox et le soupir du médecin.

Tout ceci prends encore du temps, il demande donc à ce que mes proches puissent me voir avant d'être transféré. Je suis déjà un peu plus regardable, enfin, recousu quoi. Mon père décide de prendre une photo pour la suite judiciaire. (Pour la voir, cliquez ici. ATTENTION AME SENSIBLE S'ABSTENIR)

Ensuite je suis transféré en UHCD (Unité d'Hospitalisation de Courte Durée) juste au dessus des urgences. Je vais y rester 48 heures en observation. Si je ne tiens pas le coup, je serai transféré dans une autre unité spécialisée, sinon je pourrai rentrer chez moi. Avec toutes ces émotions, un petit somme de plus de 3 heures s'impose.

A mon réveil, mes parents sont là. Ma mère me voit enfin conscient. Des retrouvailles incroyables. J'apprends l'histoire avec plus de détails. Je suis sidéré. Le personnel soignant me demande si j'accepte un goûter. Et comment que j'accepte un goûter! Retour aux plaisirs simples, le café est incroyablement bon. Mes parents me remettent mon téléphone (il a survécu à l'accident dans mon sac) qui dès l'allumage vibre de toute part. Je rassure mes collègues, ma famille, mes amis.

 

Ce que je n'avais pas calculé, c'est que ma belle famille est actuellement au Québec. Avec le décalage horaire, ils apprenent donc mon accident par ce post Facebook. Je vous laisse imaginer l'effroi et la consternation. Mes beaux-parents ne peuvent assister ma compagne et ne comprennent pas trop pourquoi ils n'ont pas été prévenus plus tôt. Sauf que les choses se sont passées si vite...

Je peine à juguler toutes les petites attentions qui suivent à ce message. Et puis je poste sur Twitter et Facebook sur mon compte Vélomagus, pour témoigner. A cet instant, dégoûté de ce qu'il m'arrive à moi et mes proches, je suis persuadé de ne plus jamais faire de vélotaf. Quand j'écris que "Vélomagus n'est plus" c'est du vélotaffeur dont je parle pas de l'homme.

 

S'en suit un déluge de notifications. Tout cela redonne foi en l'Humanité. J'essaye de répondre au maximum sans oublier personne mais très souvent je tombe de fatigue.

 

A l'UHCD, en fait, se retrouvent tout ceux qui étaient en bas (donc aux urgences) mais qui ont survécu. Certains arrivent en très mauvais état quand même. On y trouve des blessés, accidentés, malades, des personnes victimes d'AVC ou d'arrêt cardiaques. Les chambres sont doubles. Je vais avoir donc comme "compagnie" un monsieur ayant fait un AVC (et donc très diminué), une dame qui s'est trompée de chambre et qui joue sans arrêt avec la lumière et enfin un monsieur très âgé qui aura passé son temps la tête en arrière, les yeux révulsés en respirant bruyamment par la bouche. Je culpabilise presque d'être en si bon état.

Le jour d'après mon accident est terrible, mon corps réagis et gonfle. Vive les antalgiques. Et pourtant je suis loin de me douter que je vivrai la pire de mes douleurs presque 4 mois plus tard. Je passe mon temps à dormir, mon sommeil est ponctué par les visites de mes proches. 

Le personnel soignant là-bas est vraiment compétent et attentif. Cela n'empêche pas certains patients de leur gueuler dessus à longueur de journée, se croyant certainement à l'hôtel. Oui parfois c'est un peu long, ils font ce qu'ils peuvent. Un patient particulièrement pénible se met à gueuler "infirmière" pendant des plombes juste pour un verre d'eau quitte à réveiller tout le service. Et il fait ça un nombre incalculable de fois par jour. Excusez-moi, j'ai la dent dure, mais je n'admets pas de tels comportements.

[Mise à jour Janvier 2020: En lisant le témoignage de Stéphanie Cardoso ("Mon silence"), accidentée très grave de la route, je réalise que nous ne sommes pas tous égaux dans la douleur et que d'autres peuvent avoir des blessures tellement dures qu'aucun antalgique ne peut soulager. Peut-être que ce patient était dans cette situation de détresse et à l'époque j'étais incapable de le mesurer]

J'arrive péniblement mais sûrement à me mettre debout sur mes jambes. Le genou gauche est raide mais je vais m'en sortir. La première toilette, bien que périlleuse, fait un bien fou!

Puis j'apprends la bonne nouvelle: je rentre à la maison. Une autre épreuve m'y attend. Ma compagne a expliqué à Minimagus pourquoi je n'étais pas à la maison. Ils ont reconstitué mon accident avec ses jouets. Elle lui a dit aussi que j'aurai des pansements et du mal à marcher. J'appréhende son regard...