Vélomagus, récit d'un vélotafeur accidenté.

La vie quotidienne

Il serait trop long et rébarbatif d’être exhaustif concernant ma convalescence. Les journées sont rythmées par les venues des infirmières et infirmiers qui viennent soigner mes blessures, et la vie à la maison quand on est HS. Je commence par appeler et remercier chaleureusement patéléphone la personne de la société Ziegler qui m’a secourue. Echange chargé en émotion : lui, heureux d’entendre que je suis plutôt en forme, moi tellement reconnaissant envers celui dont les gestes ont été déterminants.  J’appelle aussi ma chef pour lui donner des nouvelles. Elle me prévient : « Tu sais Nicolas, prépares-toi à être deux fois voire trois fois victime car tu vas devoir aussi gérer les tracas administratifs. En tout cas si tu as besoin d’aide n’hésites pas. ». Vous verrez dans la suite de ce récit qu’elle a été visionnaire.

Je découvre également "mes partenaires de tous les jours" qui eux n'ont pas résisté au choc et au découpage par les secours : mes équipements. 
 

 
Au début je fais encore d’énormes siestes réparatrices. Les amis viennent, prennent des nouvelles, et une petite routine s’installe avec mes parents qui sont à la retraite. Tous les midis je mange donc chez eux. Le reste du temps, je fais ce que la plupart des gens me disent de faire : je prends soin de moi. Et à vrai dire, ce n’était pas si désagréable. Après tout, c’est vrai, j’ai vécu des choses assez difficiles et je ne vois pas pourquoi je devrais faire pénitence pour ces raisons. Je mange donc ce que j’aime, je lis les livres que le manque de temps et la fatigue ne me laissaient pas commencer. Je regarde aussi des films, des séries. Bref, vous l’aurez compris, au début, ce n’était pas si mal. Sauf que… Après un mois déjà, tout cela commence à devenir long, situation amplifiée par ces travaux que j’avais commencé dans la maison et que mon état ne me permet pas de continuer.
 
Dans cette "solitude", il me vient une envie de raconter ce qui m’est arrivé. Pour plusieurs raisons. Pour témoigner, pour inviter les cyclistes à encore plus d’attention face aux dangers qui les entourent, pour sensibiliser les automobilistes qui souvent oublient l’arme qu’ils ont entre les mains. Et puis pour moi. Pour que rien ne s’efface, car je ne veux pas que cela s’efface. Je ne me voyais pas écrire un livre, pensant qu’il n’y aurait pas assez à dire. Je ne me voyais pas non plus en parler uniquement sur les réseaux sociaux car cela partirait aux oubliettes en une journée. Comme je suis passionné d’informatique et que cela faisait longtemps que je n’avais pas bidouillé, j’ai donc opté pour un site internet. Dépôt du nom de domaine, serveur, CMS, tout cela m’a bien occupé pour mon plus grand plaisir. Puis les premières lignes, difficiles à coucher car c’est comme si j’exposais tout au grand jour. Ce site, vous l’avez certainement deviné, vous êtes en train de le lire.
 
Je n’oublie pas également ce que je faisais avant. J’aimais beaucoup partager sur Twitter avec la cyclosphère. C’est donc naturellement que je continue, avec cette nuance que je ne suis plus que spectateur. Et c’est dur. Les premières neiges, les couchers de soleils, l’air frais. Tout me revient à l’esprit et je sens mon corps, habitué à toutes ces bonnes choses et à cette pratique sportive quotidienne, bouillir d’envie. Je suis comme un lion en cage. Ce lion, sans que je le sache, sera difficile à libérer.
 
Il y a une phrase que j’ai entendue souvent durant ma convalescence : « Ne t’inquiète pas, avec le temps tes cicatrices ne se verrons plus ». Cela peut paraître étrange mais je suis au contraire inquiet qu’elles disparaissent. Il est à noter qu’effectivement, malgré un sourcil étiré vers le haut, les gens remarquent de moins en moins les traces que porte mon visage. Et c’est terrible pour moi qui, justement, ne veut pas effacer ce qui m’est arrivé. J’avais lu d’ailleurs à l’époque un article qui évoquait que certaines victimes de l’attentat du Bataclan s’étaient faites tatouer (et pas uniquement sur leurs cicatrices) des symboles, des écritures ayant une relation avec l'attaque. Je ne parviens pas à décoder pourquoi il est si important de garder sur son corps une marque d’un évènement aussi douloureux. Mais je me suis identifié à ces personnes. Peut-être est-ce parce qu’il est impossible de redevenir la même personne qu’avant ? Oui évidement, j’espérais ne pas être défiguré complètement, mais effacer complètement mes stigmates ne m’enchantait guère. 
 

J’ai aussi gardé un contact rapproché avec mes collègues qui me racontent les péripéties du travail et prennent de mes nouvelles. Ils vont même jusqu’à organiser un petit midi dans une pizzeria pour se revoir et c'était vraiment génial. D’ailleurs, ce midi sera le prétexte pour ma première sortie en ville (en prenant le bus) depuis cet accident (alors que je me déplaçais uniquement accompagné et en voiture jusqu’alors). Sensation très étrange d’être de nouveau dans la fosse aux lions, surtout lorsqu’il faut traverser aux passages piétons.
 
 
Pendant tout ce temps, je reste en contact régulièrement avec la police pour savoir si l’enquête a avancé. Malheureusement à chaque fois, rien de plus, faute d’éléments nouveaux. Le brigadier m’explique la suite : Si dans les 6 mois l’enquête n’avance pas, l’issue de l’enquête sera mise entre les mains du procureur de la République. Il y a de fortes chances que l’enquête soit classée sans suite s’il n’y a pas de nouveau. Mais le brigadier me fait comprendre que c’est aussi un mal pour un bien. En effet tant que l’enquête n’est pas classée, lorsque le tiers responsable n’a pas été trouvé, aucune démarche de dédommagement ne peut être entamée. Donc en classant l’affaire je pourrais commencer à faire cette démarche longue de dédommagement auprès du Fonds de Garantie (j'y reviendrai plus en détail dans la suite de ce récit consacrée aux péripéties liées aux assurances).
 
Être cassé en pleine saison d'Hiver est une sensation assez étrange. Notre corps semble suivre la saison. Puis la saison avance et je sens la vie en moi reprendre force porté par l’imminence du printemps. Presque tout va bien, et je sens que bientôt le vélo sera de nouveau à ma portée…